Créations

Macbett (recréation)

Farce tragique d'Eugène Ionesco

Après les créations Don Quichotte en 2016, Hamlet en 2018 et Pinocchio en 2020, La Montagne cachée, qui a vu le jour en 2023 à la Maison des Arts de Créteil, a clos un cycle de recherche sur une hyper-théâtralité en prise avec le réel, qui convoquait tous les outils techniques de la création, du plus artisanal (carton peint) au plus sophistiqué (dispositif multicam avec régie au plateau). Aujourd’hui, au sein de la compagnie, nous ressentons collectivement le besoin d’une rupture qui passe par une remise à plat de nos pratiques.

Avec la recréation de Macbett de Ionesco, il s’agit pour nous de revenir à nos fondamentaux, à un théâtre brut, un théâtre de texte et d’acteurs, dont la dimension spectaculaire repose sur la force du verbe, sur la ferveur des comédiens et sur des choix affirmés de mise en scène et de direction d’acteur. En 2005, Macbett de Ionesco a été le tout premier projet de création des Dramaticules. Cette œuvre a été constitutive de l’ADN de la compagnie dans son rapport au public, à l’humour, à la cruauté et à la liberté.

Macbett de Ionesco n’est pas la caricature rassurante d’une des plus célèbres pièces de Shakespeare mais une opération critique sur le mythe, une tentative de souder le théâtre élisabéthain à un théâtre d’aujourd’hui. Ionesco y suit assez fidèlement la trame narrative shakespearienne et cherche dans le même temps de nouvelles voies théâtrales. L’expérience de Macbett/Macbeth est universelle : une réussite extérieure ne peut empêcher une défaite intérieure. Mais Ionesco marque son territoire : il nous raconte les destins extraordinaires de gens interchangeables et sans grandeur. Dans les temps modernes, il n’y a plus de héros et tout va trop vite. Macbett est un anti-héros et sa tragédie est une farce.

En 2005, l’espace médiatique était accaparé par Nicolas Sarkozy, qui était alors ministre de l’intérieur et allait inexorablement accéder aux plus hautes fonctions de l’état. La porosité entre l’actualité et la pièce se situait – bien malgré nous – à cet endroit. Pour beaucoup de spectateurs, Macbett était Nicolas Sarkozy et Duncan : Jacques Chirac. Aujourd’hui, dans le moment de bascule que notre monde – et notre secteur – traverse, avec des guerres et des conflits qui n’ont jamais été si proches et si menaçants, recréer Macbett de Ionesco est plus nécessaire, plus urgent, plus salutaire.

Notre Macbett est un projet de jeu ; la pièce appelle de toutes ses forces un théâtre d’acteurs déraisonnables, entre ferveur et désinvolture. La Compagnie des Dramaticules, qui a fêté ses 20 ans en 2022, fédère autour d’elle une équipe de comédiens et de techniciens, les mêmes d’un spectacle à l’autre. Chaque création, pensée « sur mesure » pour la troupe, n’est pas seulement le « résultat » d’un an et demi de préparation et de deux mois de répétitions. Elle est le fruit d’une aventure collective débutée avec Macbett de Ionesco en 2005, aventure qui voit chacun de ses protagonistes continuer d’avoir envie de se surprendre, de se dépasser, de s’aimer. 20 ans après, nous sommes d’autres artisans. Recréer Macbett, pour nous, c’est se réinventer, se régénérer. Cette nouvelle création traduit l’urgence que nous ressentons à célébrer la théâtralité dans son expression la plus pure – celle d’un grand théâtre de tréteaux qui raconte le monde d’aujourd’hui avec force et dérision.

Le refus de Ionesco d’un quelconque formatage dans cette pièce, le voyage qu’il propose dans la théâtralité, les changements de registres (de la tragédie classique au vaudeville en passant par le conte de fée) offrent un terrain de jeu exaltant pour questionner la force du théâtre et sa capacité à raconter – à tous – la complexité du monde.

Jérémie Le Louët